L’acupuncture est d’abord une façon d’appréhender le monde. Notre manière de soigner en Occident est le résultat de notre culture judéo-chrétienne. Il nous faut donc étudier la pensée chinoise afin de comprendre cette médecine. Il est clair que le taoïsme recèle dans sa totalité la pensée orientale.
Mais qu’est-ce réellement que le taoïsme ?
« Ce qui est subtil formera l’espace céleste et mystique. Ce qui est lourd se concentrera et formera la Terre » (Nei Ting Su Wen). Cette phrase n’est pas sans nous rappeler la genèse dans notre culture judéo-chrétienne : « Il sépara les eaux d’avec les eaux ». (Bible, Genèse). Il n’y a pas différents textes sacrés, il n’y en a qu’un que chaque culture a interprété à sa manière. La pensée est comme le Yin. Immortelle et originelle.
La vision créationniste de l’univers pour les Chinois est la suivante : à l’origine, tout existe mais non encore manifesté. Grâce au Tao, le Un engendre le Deux. Deux forces appelées le Yin et le Yang. Il en est ainsi de tout ce qui vit dans la nature. De la cellule qui vient d’être fécondée (Un) et qui entame le début de la mitose (Deux). De la tige qui sort de terre (Un) et qui se divise (Deux).
Le Yin est la partie non éclairée de la montagne, c’est-à-dire le noir, l’obscurité, alors que le Yang est la partie éclairée donc la lumière. Le Yin et le Yang vont maintenant agir de concert. Ici, nous sommes dans la synergie des forces. L’être et le non-être travaillent de concert. C’est la raison d’être de ce point noir (Yin) dans le rouge (Yang) et du point rouge (Yang) dans le noir (Yin) dans le Tae Ki. Ils sont ici pour indiquer que l’absolu n’existe pas !
Rien ne se conçoit sans qu’il existe dans la partie cachée, son contraire. Chaque chose que l’on peut nommer va être catégorisée en Yin et Yang. Mais dans chaque chose nommée il va falloir y découvrir sa partie cachée. C’est la longue voie de la médecine chinoise.
Tout n’est qu’apparence. Derrière le filtre de nos cinq sens se terre notre vraie personnalité. Derrière l’apparence des choses se cache la réalité de la vie. La pensée asiatique ancienne balaie toutes les certitudes. Elle cherche, en brisant les référentiels construits de chacun, à ouvrir les chemins qui mènent à la connaissance. Quelque trois mille ans après, Socrate fera de même au travers de la maïeutique qui est une forme de dialogue permettant à celui qui subit le feu des questions de se rendre compte de la vacuité de ses connaissances.
Remarquez sur ce Tae Ki que le petit rond rouge fut enlevé de la partie Yang, laissant apparaître ipso facto le petit rond noir. C’est encore hautement symbolique. Le Yang protège et le Yin nourrit. Autrement dit, c’est en ôtant les protections trop importantes que l’on peut y découvrir les parties cachées.
Remarquez encore sa couleur : rouge sur fond noir. Il est absolument faux que le Tae Ki soit blanc et noir. Cela fut adopté dans les années 1660, quand les Jésuites entreprirent de christianiser l’Extrême-Orient. Le monde asiatique antérieur à cette acculturation ne connaissait pas ces notions de Bien et Mal où se cache une pensée moralisatrice.
Combien de textes parlent de bien, de mal, d’âme, de dieux ? Ces mots sont propres à notre culture. Les premières traces du bien et du mal font leur apparition en Iran vers 560 avant J.-C. avec Zarathoustra, fondateur d’une religion monothéiste fortement dualiste.
Certes, entre – 560 et 1660, la Chine aurait pu adopter ce manichéisme, mais elle était protégée du fait qu’elle ne participait pas aux échanges maritimes, premiers moyens de communication rapide.
Ici, la pensée chinoise dont nous parlons est bien antérieure au Zoroastre (religion dualiste fondée par Zarathoustra). C’est vers 6 000 ans avant notre ère que naissent les fondements du taoïsme qui serviront par la suite de chemin, de plan spirituel et moral à la construction de la culture chinoise. Le taoïsme n’est pas une religion mais une doctrine.
La pensée chinoise ancienne s’inscrit dans l’évolution du temps entre deux pensées culturelles distinctes. La première représentée par l’Egypte et son panthéon de dieux, et la seconde par les futures religions monothéistes.
L’univers est dirigé par une hiérarchie de forces. La création n’est pas l’œuvre une fois pour toutes achevée. Elle est une production continue issue de l’échange entre le Ciel et la Terre. Le Ciel produit et recouvre, et la Terre porte et nourrit. Ce n’est pas à l’aide du langage que l’on peut exprimer de manière adéquate la signification du Tao. Il est sans nom, parce que chaque nom détermine une chose existante précise. Le Tao est la réalité qui se situe au-delà de toutes les différences et règne sur tout ce qui existe ; il est la « voie de la nature et de la vie ».
« L’Homme suit les voies de la Terre
La Terre suit les voies du Ciel
Le Ciel suit les voies de la Voie
Et la Voie suit ses propres voies » (Tao Tö King).
C’est donc par l’alternance et l’échange réciproque entre le Yin (Terre) et le Yang (le Ciel) que la vie suit son cours régulièrement et inlassablement. Ces forces invisibles se combinent à l’infini et se concrétisent au travers des nombres qui agencent l’espace et le temps. En effet les nombres sont soit cardinaux (espace), soit ordinaux (le temps). Par exemple lorsque nous disons « deux mouvements », nous parlons de quantité, et donc de nombres « cardinaux ». Maintenant, dans la phrase suivante : « le mouvement n°2 est comparé au mouvement n°1 » nous exprimons un classement, une évolution temporelle, le nombre est dit « ordinal ».
L’homme qui suit la double voie de l’espace et du temps se doit de travailler aussi sur la vertu (le Tö). Il est responsable de ses actes devant le Ciel. La tradition originelle de la Chine l’exprimait ainsi : « si l’empereur n’agit pas correctement dans la voie, alors le Ciel et les éléments seront déréglés » (Chou King, Livre des Odes).
Cette responsabilité de l’homme vis-à-vis du Ciel l’oblige à beaucoup de circonspection dans la vie. Il doit se réformer, et pour ce faire, il doit suivre la voie droite qui consiste à se laisser conduire par le Tao en se libérant intérieurement de toute activité égoïste. Par ce travail de « non-agir » l’homme grandit et s’élève à devenir, par la pratique du Tö (vertu), un sage faisant unité avec le monde qui l’entoure.
Non-agir ne signifie nullement s’abstenir d’agir, mais s’abstenir de toute intervention inutile sur le cours des choses qui suivent obligatoirement le Tao car produit par lui.
Ainsi l’homme sage ne s’extrait pas du Tao car il a compris qu’il en est l’émanation et aussi le créateur. C’est donc par l’observation des choses naturelles que l’on peut comprendre les principes qui les régissent.
Jean Motte ( extrait d'un article paru dans Biocontact)
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