Ils marchaient sur un chemin incertain, cahin caha à travers les épineux, les ronciers, les herbes folles. La tête baissée, perdus dans leur méditation imprévue, le paysage défilait à la vitesse de la tortue, monotone et pourtant si étrangement différent.
Yang devant, Yin derrière, par nécessité? Peut-être ou peut-être pas. C'était comme ça que les choses se faisaient. Il n'y avait rien de calculé ni de prévu. Yang avait le côté plus agile, plus léger, alors que Yin sentait tout le poids se poser au sol mais en même temps garantissait une sécurité, une stabilité quelque peu vitale à Yang.
Ils marchaient sur des chemins non définis. Parfois celui-ci montait, parfois cet autre descendait. Il y avait là une sorte d'éternité dans ces mouvements de montée et de descente. Le silence régnait pour l'instant mais l'instant d'après, il pouvait y avoir un tonitruant vacarme.
Ils marchaient tels de
vieux sages hiératiques où chaque pas était créateur de vie, de souffle sans pour autant le désirer. Depuis quand avait commencé ce périple? Depuis que le souffle de la vie était passé sur l'univers et particulièrement sur cette terre bleue qui tournait autour d'un soleil jaune. Alors Yin et Yang s'amusèrent dans leur jeunesse à jouer avec ces couleurs et créèrent en mélangeant le jaune et le bleu à faire du vert et comme il ne savaient pas quoi en faire, ils le mirent sur des arbres et c'est ainsi que naquit la végétation.
Yin et Yang rirent de bon cœur car cette végétation leur faisaient de l'ombre quand il faisait trop chaud et leur donnait du feu lors des grands froids.
C'était il y a bien longtemps. Ils s'étaient mis en marche, Yang devant et Yin derrière comme par intuition, car Yang pouvait ainsi protéger Yin. Mais tous deux savaient que c'était Yin qui entamait les choses..
Leurs pérégrinations les amenèrent devant une montagne, de ces montagnes qui enferment en leur sein l'origine du monde. Yin et Yang s'assirent, pas bien longtemps car dès qu'ils se reposaient le monde s'arrêtait de tourner et alors le soleil disparaissait, les arbres s'étiolaient , l'univers s'attristait. Ils s'arrêtèrent le temps d'entendre une voix caverneuse et profonde, une voix d'outre-tombe qui lentement leur intima de reprendre le chemin mais pour une quête cette fois, un idéal, une perfection. Tenter de créer un humain qui aurait la charge de contrôler et d'aider Yin et Yang dans leur mouvement éternel, de les unirent et de les choyer, en bref, d'unir le ciel et la terre et de jalonner les chemins de montée et de descente afin qu'il n'y ait plus d'errance mais seulement une énergie pure et lumineuse.
Depuis lors, Yin et Yang marchaient, avançant puis tantôt reculant, cherchant cet idéal à façonner et à spiritualiser. Tout cela donnait sens à leur démarche car maintenant Yin et Yang étaient intriqués, s'épaulant quand l'un descendait l'autre montait. Ils avaient trouvé la voie du juste milieu, l'homme ETANT ce juste milieu. Maintenant, il leur fallait continuer l'oeuvre en élevant celui-ci à sa condition de dieu. Le chemin se continuait au-delà des nuages et des lignes d'horizon. Le chemin s'estompait dans les confins du futur mais Yin et Yang savaient de vive voix d'outre-tombe que tout idéal est en devenir de perfection. Alors ils rirent en croisant un peuple puis un autre aux coutumes différentes, aux regards différents, aux mœurs différentes, aux appétits différents; Ils rirent car ils savaient qu'un jour, ces peuples-là, plutôt que de chercher et de mettre en avant leur différence trouveraient en eux ce cœur identique, cet amour unique qui les faisaient si semblables. Ce jour-là, Yin et Yang n'auraient plus de raison d'être, ils s'arrêteraient définitivement, leur devoir accompli et se laisseraient se diluer dans l'univers sans limite et sans forme. Le non-forme les absorberait et dans un ultime éclat lumineux ils fusionneraient pour une nouvelle épreuve. Ainsi va le temps, il ne cesse jamais, il se renouvelle, il se fond et se forge dans un nouvel idéal.
Jean Motte
Je suis émue et apaisée de cette lecture, au rythme et à la tonalité justes. Je ne savais pas que cela pouvait exister ! Ou bien je l avais oublié...Merci Jean !