Le mois d’août est propice aux questions philosophiques. Alors je vous propose de réfléchir ou plutôt méditer sur le fait suivant: pourquoi ressentons-nous la douleur mais pas l’absence de douleur? Pourquoi ressentons-nous la maladie mais pas la santé?
C’est un fait troublant que lorsque vous allez bien (pour autant qu’on le puisse), vous ne ressentez rien et n’en prenez pas conscience. Comme si tous les nerfs afférents au cerveau étaient au repos. C’est à l’image du bonheur. Nous sommes perpétuellement en quête du bonheur et lorsque nous l’avons, nous n’en avons aucun ressenti, aucune joie. Nous sommes déjà dans le lendemain à nous poser des questions du style « comment garder cet état » ce qui fait de facto que nous nous retirons du bonheur du présent. Le bonheur est donc soit passé soit avenir. En effet, nous sommes tous à avoir vécu un moment fabuleux et à nous dire le lendemain que c’était génial. Mais « ça » c’était hier! Donc le bonheur est insaisissable au présent car comme la douleur, nos nerfs n’apportent aucune information ou excitation. Nous sommes là à la recherche de l’ataraxie dont voici la définition du CNRTL: Tranquillité, impassibilité d'une âme devenue maîtresse d'elle-même au prix de la sagesse acquise soit par la modération dans la recherche des plaisirs (Épicurisme), soit par l'appréciation exacte de la valeur des choses (Stoïcisme), soit par la suspension du jugement (Pyrrhonisme). Je vous parle de Pyrrhon d’Elis qui est celui qui se rapproche le plus de la pensée de Tchouang Tse, de la voie du juste milieu et de tout interventionnisme dans la nature des choses puisque l’homme devrait savoir qu’il ne sait rien. Un taoïste contemporain de Tchouang Tse simplement en Grèce et l’autre en Chine. Années fécondes de tolérance et de simplicité.
Or donc nous voici devant un « outil » de guérison. Il faut être modéré dans notre vie afin de ne pas irriter nos nerfs par le désir de choses que l’on a pas, ni par le jugement (puisque le juge ment !). Nous savons que la maladie est une conséquence OBLIGATOIRE de nos émotions (Huai Nan Zhe).
Bien évidemment l’alimentation est aussi source de déséquilibre car tributaire de mes pensées. Si je suis anxieux, hop un laitage! Si je suis triste hop un carré de chocolat! Si je suis angoissé hop je me remplis de cochonneries afin de ne plus ressentir ce vide en moi. Donc les émotions sont nos pire ennemis mais aussi nos meilleurs amis. Il faut encore une fois un entre-deux le plus judicieux. Il ne faut pas nous IRRITER. Ce mot, son étymologie est digne d’une saga! Le radical du verbe, un terme de chasse semblable au haro en français, pour exciter les chiens à la chasse, les soldats au combat. Comparez avec le verbe hirrio (« gronder », en parlant d’un chien). Le H initial est tombé, comme souvent en latin, ira (« colère ») est le doublon de hira (« entrailles »).
N’est-ce pas extraordinaire de découvrir qu’irritation, vient de IRE la colère qui est anciennement « les entrailles »? Nos entrailles sont le siège de nos émotions et ce sont elles qui déterminent si les nerfs doivent conduire une information douloureuse ou non.
L’art de l’acupuncture est donc de garder nos entrailles muettes. C’est l’état de santé parfait. Bien manger, vivre sans désir et sans préjugés. Enlever tous les mots blessants ou guerriers au profit des mots qui rendent libres et acteurs de notre vie.
Nous ne ressentons pas la paix mais seulement la guerre. La paix n’est pas irritante, elle permet de vivre l’instant pour peu que nous soyons libres de nos choix. Malheureusement le vocabulaire est constamment à nous rappeler la guerre. Il faut combattre, vaincre, anéantir, annihiler, asphyxier, étouffer, maîtriser, asservir, dépouiller, etc. Et tous les corps de métier y passent, de l’école de guerre à la médecine allopathique. C’est pourquoi j’insiste souvent lors de mes cours sur le choix des mots et les actes. Lorsqu’un patient demande si l’aiguille va faire mal, je lui réponds déjà que je le pique pour son bien et que le mal est tout simplement un non-bien. Ensuite plutôt que de minimiser par des phrases bateaux, comme « non, non , ne vous inquiétez pas » je préfère lui dire « concentrez-vous sur votre ressenti et dites-moi franchement ». Ici encore nous agissons pour rendre l’homme libre de ses pensées, ressentis et actes.
Comme je le dis souvent en cours, l’acupuncture est en deux parties. Celle émergée qui est l’outil et celle cachée qui est la partie la plus secrète et la plus extraordinaire de cet art.
Bon vent!
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